Ville de Genève

Image: Lukas Blaskevicius via Unsplash

Défis éthiques dans la stratégie numérique de la Ville de Genève

Le Conseil administratif de la Ville de Genève a consacré sa retraite stratégique 2020 à sa stratégie numérique. Dans ce cadre, il a invité l’équipe d’ethix à présenter ses réflexions sur les défis éthiques de la ville numérique. Ce document présente les grandes lignes de cette intervention.

“La numérisation est un enjeu social et les questions éthiques sont une partie essentielle du débat public que nous devons mener. La contribution de l’équipe d’ethix a permis au Conseil administratif d’aller plus loin dans sa réflexion en la matière et d’ouvrir les questionnements stratégiques nécessaires.”

Sami Kanaan, Maire de Genève 2020

 

Les points forts de l’intervention de l’équipe d’ethix

 

  • La politique du numérique est avant tout une question de société, puis une question technique.
  • Les villes doivent être le lieu d’un débat politique sur les objectifs généraux des outils numériques.
  • Ces objectifs généraux peuvent s’articuler autour de trois valeurs clefs : promotion des libertés individuelles des résident.e.s, promotion de la solidarité entre les résident.e.s, diminution de l’impact écologique de la ville.
  • Ces objectifs et ces valeurs se déclinent sur les champs d’activités de la ville: prestation de services à la population, administration, actrice des conditions-cadres de la région, propriétaire et exploitante d’infrastructures.

 

Les questions clefs

Comme l’ensemble des collectivités publiques, la Ville de Genève est confrontée à une série de défis numériques. Cinq champs d’action apparaissent:

  • La Ville de Genève comme prestataire de services à la population
  • La Ville de Genève comme administration
  • La Ville de Genève comme actrice des conditions-cadres dans la région
  • La Ville de Genève comme propriétaire et exploitante d’infrastructures
  • La Ville de Genève comme initiatrice de projets culturels, sociaux, pédagogiques

Ces champs d’action témoignent de la diversité des questions soulevées par les technologies numériques. Celles-ci ne sauraient être limitées à certains domaines d’activités. Elles traversent l’entier des activités de la ville.

Il apparait clairement que le numérique n’est pas exclusivement un enjeu technique. L’enjeu est avant tout de société. La question clef n’est pas de savoir quels outils numériques seront choisis pour telle ou telle tâche. Il s’agit d’identifier, de débattre puis de décider des grands objectifs que la politique du numérique doit poursuivre. La politique du numérique doit servir à réaliser une vision de société.

Afin d’aborder cette vision de société, l’équipe d’ethix a identifié les questions suivantes, qui sont autant de fils rouges pour développer une stratégie numérique et la mettre en œuvre:

  • Comment renforcer la capacité des résident.e.s à faire des choix libres?
  • Comment améliorer la qualité de vie des résident.e.s?
  • Comment diminuer l’impact de la ville sur les ressources naturelles?

 

Les grandes tendances

La politique numérique d’une ville comme Genève vient s’inscrire dans un ensemble de tendances lourdes. Ces tendances ne déterminent pas l’action politique, mais elles en dessinent les contours. A grands traits, il est possible d’identifier les tendances suivantes:

  • La mise en données du monde, des savoirs et des relations humaines, notamment par la multiplication des objets connectés
  • L’impact croissant de systèmes algorithmiques sur la vie professionnelle, politique et personnelle
  • L’automatisation de nombreux processus répétitifs
  • La personnalisation des informations, des contenus et des prestations
  • La virtualisation croissante des événements, des relations et des échanges

La façon dont nous considérons le numérique va évoluer en parallèle. Nous abandonnerons peu à peu une distinction trop stricte entre activités numériques et réalité physique pour tenter de mieux appréhender les dimensions virtuelles et physiques de l’ensemble de nos activités. Si nous parvenons à dépasser un narratif de compétition entre l’humain et la machine, nous pourrons mieux exploiter les outils numériques pour ce qu’ils sont réellement: des instruments à disposition des humains dans la poursuite de leurs objectifs.

 

Les fondations éthiques d’une politique numérique

Au cœur de la politique numérique, la Ville de Genève pourrait mettre en avant trois valeurs clefs:

1. Le renforcement de la capacité des résident.e.s à être libres

Les résident.e.s sont au centre de la politique numérique. Celle-ci doit leur permettre d’améliorer leur capacité à choisir leur vie et à mettre en œuvre leurs choix. Les outils numériques s’inscrivent alors dans l’objectif d’une société d’individus libres. Le numérique doit renforcer les droits fondamentaux des résident.e.s.

2. La prévention des discriminations et la poursuite de la solidarité choisie par les résident.e.s

Le numérique ne doit pas seulement renforcer les individus, mais également leur capacité de faire société. A ce titre, les outils numériques doivent être utilisés pour lutter contre des formes inacceptables de discrimination. De plus, ils doivent permettre de réaliser la politique de solidarité que les résident.e.s ont choisie.  

3. L’amélioration de l’impact écologique de la collectivité

Dans l’idéal, les individus réunis en société ne devraient pas impacter négativement leur environnement. La politique du numérique doit être mise au service de cet objectif de diminution des impacts sur les ressources naturelles. La conception et l’utilisation d’outils numériques doivent être aussi respectueuses que possible. De plus, leur utilisation doit permettre de diminuer l’impact d’une collectivité.

 

Les défis de la mise en œuvre

Mettre en œuvre ces trois valeurs clefs, c’est chercher à approcher de manière stratégique les éléments suivants :

1. La Ville de Genève comme prestataire de services à la population

La ville numérise ses prestations aux résident.e.s. Cette relation est bilatérale. La ville propose un service renouvelé à ses résident.e.s pour s’adapter à leur mode de vie. Dans le même temps, elle exige que ceux-ci changent leurs habitudes en utilisant de nouvelles méthodes de communication.

  • Assurer l’accès et l’utilisation par les résident.e.s de l’ensemble des services de l’Etat
  • Participation politique sur les objectifs et les méthodes de numérisation du service public

2. La Ville de Genève comme initiatrice de projets culturels, sociaux, pédagogiques

De manière spécifique, la Ville de Genève est la principale collectivité publique en charge de la culture (arts vivants, bibliothèques, patrimoine, etc.). Elle développe également une action sociale (petite enfance, seniors, proximité, précarité, etc.) importante. A ce titre, elle doit jouer un rôle-clé pour permettre l’acquisition des compétences, connaissances et bonnes pratiques nécessaires à une maîtrise suffisante du numérique, mais également en thématiser les enjeux sociétaux et politiques.

  • Offrir les espaces de sensibilisation et d’expérimentation (par exemple des « lab ») nécessaires à appréhender ces enjeux nouveaux
  • Proposer une offre de formations et des accompagnements pratiques pour limiter les risques de fractures numériques liées à la génération, à l’âge, au capital socioculturel ou au revenu.

3. La Ville de Genève comme administration

En tant qu’employeur, la ville cherche à améliorer ses conditions-cadres pour attirer les meilleurs collaborateurs.trices. Elle cherche également à prévenir les changements démographiques à venir et le départ à la retraite de nombreux collaborateurs.trices.

  • Encouragement d’une culture de la donnée: documenter les choix et les actions réalisées
  • Gestion basée sur les données: améliorer l’efficacité de l’administration en évaluant les manières de travailler
  • Utilisation des outils numériques pour permettre aux collaborateur.trices de devenir meilleurs dans leur travail: éviter la surveillance, même soft, et proposer une véritable stratégie d’empowerment envers l’ensemble des collaborateur.trices

4. La Ville de Genève comme actrice des conditions-cadres dans la région

De par sa taille et son importance, la Ville de Genève joue un rôle important dans les conditions-cadres régionales.

  • Assumer un rôle de leader du numérique responsable, ancré sur certaines valeurs fortes
  • Promotion de l’innovation numérique, à la fois au sein de l’administration et avec les acteurs économiques régionaux
  • Mise en réseau et création de synergies

5. La Ville de Genève comme propriétaire et exploitante d’infrastructures

La Ville de Genève possède ou possédera dans un futur prochain certaines infrastructures importantes pour le numérique. L’accès au numérique doit être comparé à l’accès à l’eau ou à l’électricité: une ressource fondamentale pour les individus et les entreprises.

  • Accompagner le développement des senseurs IoT qui sont déployés en ville (énergie, mobilité, etc.)
  • Développer une stratégie de mise en réseau et de contrôle de centres de données régionaux ou cantonaux
  • Réfléchir à une stratégie pour évaluer le caractère “bien public” d’infrastructures numériques et de services basé sur le numérique choisis